Demain la France comptera ses morts.
Demain les responsables politiques de droite comme de gauche vont défiler sur les lieux des attentats avec la mine grave et quelques phrases bien senties préparées par le service des communications de leur cabinet ministériel.
Demain on demandera à la police de se montrer plus ferme et de traquer sans merci les terroristes.
On dira à la justice qu’elle doit faire preuve de fermeté.
On dira enfin aux Français que tout sera mis en œuvre pour assurer leur sécurité.
Comme depuis les trente dernières années on va continuer à leur mentir.
Car si Paris est ce soir en état d’urgence – c’est à dire l’équivalent des mesures de guerre ici – c’est parce que les responsables politiques français ont réussi à masquer aux français les dangers de leur vision politique à court terme, celle qui n’est pas capable de voir plus loin que son propre mandat, ses propres intérêts, son propre programme, ses amis, ses alliances et son parti.
Parce que les policiers, quoi qu’on vous en dise, ne sont pas la solution, ils ne sont que l’ultime réponse à une situation devenue incontrôlable.
Parce qu’il fallait resserrer le filet social, tenir un contre-discours solide aux propos radicaux, défendre des valeurs au lieu de faire des promesses non tenues, chercher à comprendre et agir aux bons endroits plutôt que de pondre des mesurettes, avoir une politique internationale responsable et cohérente, donner de véritables moyens à la justice plutôt que de limiter les pouvoirs des juges d’instruction, donner de réels moyens opérationnels aux policiers plutôt que de détourner l’argent des enquêtes, avoir un système pénal qui ne soit pas un mille-feuilles incohérent à cause des lois pondues par des groupes parlementaires qui voulaient laisser leur marque… la liste est longue.
Parce que durant les vingt dernières années, j’ai vu les associations de défense des victimes du terrorisme devoir se débrouiller avec des budgets ridicules, des juges manipuler des enquêtes, le secret de l’instruction bafoué sans vergogne, des syndicalistes se préparer des carrières politiques, des responsables policiers privilégier leurs promotions plutôt que la loi et l’intérêt du public… tandis qu’encore aujourd’hui mes anciens collègues policiers continuent à patauger dans le sang des victimes et faire face à une situation qui échappe à tout contrôle avec des moyens de plus en plus limités.
Parce qu’il y a vingt ans, il y avait encore des solutions et que maintenant il y a l’état d’urgence.
J’entends d’ici ceux qui vont dire que je fais de l’auto-flagellation face aux méchants terroristes qu’il faut plutôt pourchasser et exterminer sans pitié.
Contrairement à eux j’ai fait ma part de chasse aux terroristes.
Et avec le temps, j’ai appris que ce ne sont pas ceux qui cherchent les raisons du mal qui nous frappe ailleurs que dans les motivations de nos adversaires qui sont les idiots utiles du terrorisme, mais ceux qui crient en coeur « tuons les tous » sur le même refrain sécuritaire vide de sens et d’actes que des politiciens de droite comme de gauche leur servent depuis des décennies.
Ce soir, le président de la République française à dit : « nous allons mener le combat, il sera impitoyable ».
Malheureusement, cher François, toi et les tiens avez déjà perdu ce combat.
Entrevue à TV5 Monde après la parution de ce billet :